Le beau rôle
Il aurait aimé, dans son dernier âge, se choisir et murir longuement son rôle, chef-d'oeuvre d'une vie. Autrefois, il aurait eu effectivement le choix des déguisements : le Grand-Père, genre Victor Hugo, ou the old gentleman, ou pourquoi pas, le vieux cochon - et bien d'autres encore. Mais pour quel public tous ces rôles ? Le vrai public, le public connaisseur, il était dans les maisons de retraite, là où les déchets en dépôt, non dépourvus de malice, savent que c'est la destruction vivante en eux qui leur soufflera leurs plus beaux effets, pour l'effroi des parents en visite. C'est le seul vrai plaisir qui leur reste, de terroriser ces chéris qui bientôt viendront les remplacer ou peut-être, qui sait, les rejoindre.
Parmi tous ces rôles à l'encan, il en était un de peu de prestige, une dignité démentie par le terme même qui la désigne car c'est un terme de mépris, une dignité qui n'est revendiquée par personne et que peut-être Louis aurait osé réclamer pour lui afin de tenter, grâce à elle, de se composer malgré tout une contenance, c'était le rôle et la dignité de Vieux Con.