Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Foire à tout
4 décembre 2006

Nuits bleues, calmes bières

       Les solitaires font peur,  comme les revenants,  comme les lépreux de jadis,  à cla-quettes et à pustules. Un jour, on les retrouve poignardés, derrière une palissade, dans un terrain vague ou sur une plage de banlieue, au milieu des détritus. Nus, on se demande pourquoi. On apprend soudain qu'ils étaient célèbres, ou qu'ils auraient pu l'être, ou qu'ils avaient des vices cachés. Sur leurs corps, on retrouve des tatouages bizarres. On n'aurait jamais imaginé qu'ils avaient fait de semblables voyage. Et dans leurs poches, alors : des revues pornos, un vieil album de Pim Pam Poum, un roman d'Henri Calet, des caramels mous, des nougats de Montélimar, des rubans un peu passés, des images de premières communiantes, des christs en réglisse, déjà presque fondus, quelques confettis des dernières fêtes, si lointaines, oui, si lointaines. Des agonies rôsatres, des murs blafards bafouilleurs, des perroquets du Mexique (où il n'était jamais allé, où il n'irait jamais). Et au milieu de ce désordre : lourdes, lentes, plombées, funêbres, les bières brunes qu'il aimait tant, surtout vers les cinq heures, quand la douleur est à vif, leur chevelure de mortes, qu'il avalait goulûment, comme un idiot se gave de mâchefer ou d'étoupe, en fixant le soleil. Mais les blondes aussi, fidèles, amicales, cuivrées. Toujours exactes. Bues à heures fixes, et ne décevant jamais. Le zinc était son pays. Sa carte du tendre. Il n'engageait jamais la conversation avec ses compagnons de route. D'ailleurs, tous les buveurs de bière sont des solitaires. Il y a en eux du siamois somnolent, de l'enfant boudeur, du roi en exil.

               Jean-Pierre Martinet, Nuits bleues, calmes bières

Publicité
Publicité
Commentaires
Foire à tout
Publicité
Foire à tout
Archives
Publicité